Qu’est ce que le clivage ? Dans cet article nous souhaitons définir ce qu’est le clivage en nous appuyant sur la théorie psychanalytique et sur la psychopathologie. Nous espérons vous donner plusieurs pistes qui vous permettront de nourrir votre réflexion. En effet, le concept de clivage est très dense et peut trouver des éléments de définition dans des domaines variés tels que la psychiatrie, la psychologie, la psychopathologie et la psychanalyse.
Tout d’abord, rappelons que dans le dictionnaire Larousse, le clivage est une action qui amène une fracture, une séparation, une différenciation, une scission ou un fractionnement d’entités solides, de groupes sociaux ou d’idées.
Comprendre le clivage à travers la psychanalyse
En psychanalyse, le clivage est une notion conceptualisée par S. Freud qui l’utilise pour la première fois dans ses écrits sur le fétichisme (Fétichisme, 1927) et les psychoses (Névrose et psychose, 1924). Dans la rencontre avec ses patients, Freud observe la coexistence de deux entités distinctes au sein du Moi qui vont appréhender différemment la réalité extérieure : l’une va tenir compte de la réalité, tandis que l’autre va la denier. Autrement dit, le clivage permet de maintenir une coexistence contradictoire au sein du Moi, les parties clivées vivant côté à côté et persistant dans la psyché à la fois reconnue et niée en même temps.
Pour Freud, sous l’action du clivage le Moi se déforme, se divise, se scinde en parties distinctes et sacrifie son unité afin de se défendre contre un éventuel effondrement psychique. Contrairement au refoulement qui conserve les éléments refoulés au sein de l’inconscient, le clivage se coupe d’une partie de soi en appauvrissant la psyché.
Définition du clivage donnée par J. Laplanche et J-B. Pontalis :

(Vocabulaire de la psychanalyse, édition de 2014).
Pour appréhender le clivage dans sa complexité, il est nécessaire de distinguer l’apport de la psychanalytique freudienne et les remaniements conceptuels de ses successeurs jusqu’à aujourd’hui. Dans la partie suivante, nous présenterons brièvement le cheminement théorique de Freud à l’endroit du clivage. Plus tard, nous utiliserons des définitions plus récentes pour présenter le clivage et notamment à l’épreuve de la clinique.
Le clivage dans la théorie freudienne
Pour comprendre la portée théorique du clivage, il convient de revenir sur l’évolution du terme à travers la théorie freudienne. En psychiatrie et dans la théorie psychanalytique, le terme français de clivage retrouve son équivalent allemand sous l’appellation « Spaltung ». Freud et d’autres de ses contemporains vont l’utiliser pour désigner une division au sein de la psyché.
A la fin du 19ème siècle, ce sont P. Janet et J. Breuer qui vont mettre en lumière des phénomènes de clivage de la conscience dans l’étude de l’Etat mental des hystériques, parue en 1893.
C’est à partir de ces différents travaux sur l’hystérie que Freud met en lumière l’existence d’une division au sein de la psyché humaine, avec d’un côté la conscience et de l’autre l’inconscient qui est rendu possible par le mécanisme du refoulement. Nous retrouvons également la notion de division intrapsychique dans l’élaboration de l’appareil psychique organisé en systèmes ou instances séparées.
La notion de clivage apparaît en filigrane bien après 1920, à partir de l’étude du fétichisme (1927), dans l’article Le clivage du moi dans le processus de défense (1938) ou encore dans l’Abrégé de psychanalyse (1938).
Le clivage dans le fétichisme
Dans l’étude du fétichisme, Freud observe le mécanisme défensif du désaveu (« Verleugnung »), qui crée une scission à l’intérieur du Moi à la suite d’une situation traumatique. Il est important de souligner que c’est l’information d’origine perceptive qui est désavouée et mis à l’écart du Moi. Ainsi, ce n’est pas la représentation interne surgissant de la psyché qui est écarté, mais bel et bien la perception relative à la différence des sexes.
En effet, rappelons à juste titre que dans la situation clinique du fétichisme, le patient refuse de reconnaître intellectuellement l’absence de pénis chez la mère, ce qui le contraint à trouver un substitut devenant indispensable à l’obtention de la jouissance.
(Extrait du Vocabulaire (Vocabulaire de la psychanalyse, J. Laplanche et J-B. Pontalis, édition de 2014).
Le clivage dans la psychose et la névrose
Plus tard, dans l’article Le clivage du moi dans le processus de défense, et dans la dernière partie de l’Abrégé de psychanalyse, Freud évoque une situation clinique de paranoïa où il est fait mention d’un clivage psychique où le désaveu n’est jamais complet. Freud semble considérer l’existence du clivage dans un ensemble psychopathologique plus étendu que les simples perversions, avec l’existence de ce mécanisme dans les psychoses et les névroses. Dans ses écrits notons également la présence du mécanisme du déni.

(Extrait de l’Abrégé de psychanalyse (1938), p. 82).
Enfin, soulignons le fait que Freud considère que le clivage psychique n’est jamais complet et que les désaveux sont toujours accompagnés d’une certaine dose de connaissance. Comprenons ici que le clivage ne doit pas être appréhendé comme un éloignement interne ou une exclusion radicale hors de la psyché. Freud insiste sur le fait que le clivage maintient une coexistence contradictoire entre deux parties distinctes présentes au sein du Moi.
Pour aller plus loin sur le clivage dans la théorie freudienne :
- S. Freud (1924 b), Névrose et psychose, OCF.P XVII ; (1924 e), La perte de la réalité dans la névrose et la psychose, OCF.P XVII.
- S. Freud (1927), Fétichisme, OCF.P XVIII.
- Freud (1938), Abrégé de psychanalyse, trad. F. Robert et F. Kahn, Œuvres complètes de Freud / Psychanalyse.
- J. Laplanche et J-B. Pontalis (1967) Vocabulaire de la psychanalyse.
- A. Green (1993), Le Travail du négatif, Le clivage : du désaveu au désengagement dans les cas limites.
- S. Maes (2015). Sous le signe du clivage. Paris.